Inde 2è - Les merveilles d'Agra

30 décembre. Arrivée à Agra en fin de journée. Je fais mes adieux à Farooq qui me confie à un conducteur de vélo-rickshaw et négocie le tarif pour moi : 20 roupies, pas plus. Cela m’aurait sans doute coûté dix fois plus si j’avais parlementé moi-même. En effet, Farooq ne peut me conduire jusqu’à mon hôtel : je l’ai choisi tout proche du Taj Mahal, et depuis quelques années toute circulation est interdite auprès de la merveille dans un rayon de quatre kilomètres, pour cause de pollution qui en menace le marbre blanc. Les abords sont sévèrement gardés : barrières et police. On ne passe pas.

Je m’installe pour la soirée dans un hôtel inhabituellement calme pour l’Inde : pas de voitures klaxonnantes à proximité, une rareté. Je me couche tôt après avoir espéré une douche chaude, mais je dois me contenter d’un seau d’eau bouillante livré de la cuisine. Comme souvent ici, le seul chauffe-eau de la maison y est installé. Il ne ferait pas si froid, cela me serait égal, mais ma crève carabinée ne s’arrange pas. Je me couche tôt, emmitouflée dans mes polaires, badigeonnée de Vicks Vap*rub. Le réveil est programmé aux aurores le lendemain.

Le site du Taj Mahal ouvre à 6 heures du matin, et je ne saurais trop recommander aux futurs visiteurs d’y aller dès le lever du jour. Pour ma part, je m’y suis pointée aux premières lueurs, 7 heures en hiver, avant c’est inutile. Et après, ce sont des files d’attente ininterrompues jusqu’au soir, aux trois portes d’accès.

Ce qui est très étonnant avec le Taj Mahal, c’est qu’on ne l’aperçoit de nulle part, comme on voit la Tour Eiffel de presque partout dans Paris. Il faut aller le débusquer dans son enceinte. Passé le premier guichet, on se dirige vers une porte monumentale et somptueuse, rouge, incrustée de motifs de marbre. On passe sous l’arche et Il est là, apparu soudainement dans la brume du matin. Et c’est à couper le souffle.

Porte du Taj

Porte du Taj

Taj Mahal

Taj Mahal

Le Taj Mahal, c’est un cygne de marbre, élancé, majestueux, aérien. Malgré ses dimensions impressionnantes, on dirait qu’il flotte sur le plan d’eau dans lequel il se reflète, et sa symétrie parfaite est le plus harmonieux des poèmes pour mes yeux qui n’en reviennent pas. Il y a de ces cadeaux, parfois, auquels on ne peut croire.

Les autorités en charge du Taj ont eu la délicate attention, tout l’hiver je suppose, de dispenser les visiteurs d’enlever leurs chaussures pour y accéder, comme on doit le faire pour tout temple, mausolée, ou mosquée. Il fait un froid polaire. Les visiteurs matinaux sont équipés de coupe-vents et d’écharpes multiples, et les meilleures chaussettes même superposées, ne nous protégeraient pas de la glace du marbre blanc sous nos pieds. On nous donne donc des couvre-pieds munis d’élastiques, pour envelopper nos chaussures, ce qui est plus confortable bien qu'inesthétique : on a tous l'air de visiter les soins intensifs d'un hôpital et certainement pas l'un des plus beaux sites de la planète. Bref.

L’histoire du Taj Mahal est celle d’un amour brusquement interrompu (même si certains historiens remettent sérieusement en question cette légende, c’est celle que je préfère retenir). Celle de l’empereur Shah Jahan, dévasté de douleur après la mort de son épouse, et qui fit construire pour l’ensevelir le plus beau mausolée du monde. On dit qu’il fit tuer la fiancée de l’architecte choisi, pour que celui-ci comprenne bien la douleur qui devait l’inspirer… On dit aussi que parmi les 20 000 ouvriers qui l’édifièrent pendant 20 ans, certains furent ensuite amputés des mains ou des pouces pour ne jamais reproduire cette splendeur et ses secrets.

Taj

Taj

Taj

Taj

Le Taj Mahal est rigoureusement symétrique : le corps central aux quatre côtés identiques est encadré de quatre minarets à chaque angle. De part et d’autre, deux mosquées de grès rouge, dont l’une purement décorative (elle est orientée dans la mauvaise direction et ne peut donc avoir de fonction religieuse) construites pour respecter la symétrie autour du tombeau de la reine.

mosquée Taj

mosquée Taj

La seule dissymétrie de l’ensemble est à l’intérieur : Shah Jahan avait prévu de construire son propre mausolée en face du Taj Mahal, sur l’autre rive de la rivière Yamuna au bord de laquelle il est érigé. Or, son fils Aurangzeb, qui avait par ailleurs fait emprisonner son père huit ans avant sa mort pour prendre le pouvoir, n’avait cure de respecter les souhaits de symétrie post-mortem de son géniteur et fit enterrer celui-ci à côté de son épouse bien-aimée, détruisant la symétrie du lieu. Les deux cénotaphes ainsi accolés ne contiennent d’ailleurs pas les corps des deux époux ; ceux-ci étaient enterrés dans la crypte souterraine qu’on ne visite plus pour cause d’inondation.

Taj

Je me suis promenée pendant plus de deux heures autour du célèbre tombeau, de ses jardins paisibles aux mosquées l’entourant, avant que le gros de la foule n’arrive. A côté de la mosquée est, un incongru panneau lumineux mesure seconde par seconde la pollution ambiante, cassant un peu la magie…

Taj

Taj

Et pourtant, et pourtant, à Agra, ce n'est pas le Taj qui restera le plus marqué dans mon souvenir. A portée de vélo-rickshaw (qui sont équipés en téléphone portable...) on trouve Le Fort Rouge, là aussi, plus beau que celui de Delhi, là même où était emprisonné Shah Jahan, dans une geôle de marbre sublime, avec vue imprenable sur le Taj Mahal qu'il avait fait construire.

Fort Rouge

Fort Rouge

Fort Rouge

Fort Rouge

Fort Rouge

Fort Rouge

Fort Rouge

Fort Rouge

Fort Rouge

Et de l'autre côté de la Yamuna, après une traversée cahotante du Pont d'Agra, en dessous duquel reposent des tribus de buffles au milieu du linge qui sèche sur la rive, on arrive à un autre mausolée, celui d'Itimad-ud-Daulah, plus communément appelé "Baby Taj". Plus petit que le Taj Mahal, il lui est antérieur (1628), et est à l'initiative d'une femme, la poétesse Nur Jahan. Baby Taj, je dois l'avouer, m'a tiré des larmes d'émotion devant cette dentelle, ces dessins, cette pure poésie de marbre multicolore.

Pont d'Agra

Baby Taj

Baby Taj

Baby Taj

Baby Taj

Baby Taj

Baby Taj

Baby Taj

Baby Taj

Baby Taj

Baby Taj

Baby Taj

Commentaires

1. Le lundi 5 février 2007, 17:28 par Fauvette

c'est tellement beau. Hier je n'ai regardé que les photos en rêvant... Aujourd'hui je savoure le texte, toujours aussi fin et bien écrit. Notre voyage continue, sur un rythme qui me convient fort bien ! Merci Traou. Et puis je suis presque sûre de revenir voir les photos, pour le plaisir !

2. Le mardi 6 février 2007, 14:55 par bigou

Je viens de découvrir ces superbes photos ....quel merveilleux voyage ! à suivre .....

3. Le mercredi 7 février 2007, 11:00 par Chondre

Je pensais vraiment qu’il fallait camper et se réveiller de très bonne heure pour pouvoir avoir la chance d’observer le Taj-Mahal dans de bonnes conditions. D’après tes photos, il commençait quand même à y avoir du monde. Mais je suis quand même un peu déçu. Point de photo de Traou ni de Jim sur un banc, comme Lady Di. Je ne connaissais pas le Fort Rouge. Les dentelles de marbre semblent splendides. Quant aux buffles pionçant sur la plage…l’Inde est vraiment le paradis des ruminants !

4. Le mercredi 7 février 2007, 11:47 par Cécile

c'est toujours comme entendre raconter un reve que de te lire... les dernieres images donnent envie de patchwork .

5. Le mercredi 7 février 2007, 13:19 par Madeleine

Pfff Cécile tu m'agaces ;-) Je pensais également à du patchwork !!!

Quand même Traou ! avoir oublié Jim ! il aurait fait fureur au milieu de ces merveilles :)

6. Le dimanche 11 février 2007, 23:57 par Bailili

Ah cette histoire, ces lieux, tes photos sont trop... euh... transcendants ? Enfin, je me sens transportée vers un lieu que je rêve de voir, un jour...

Merci, Miss !